Αρχείον Ιωάννου Καποδίστρια, τ. Δ΄

Τίτλος:Αρχείον Ιωάννου Καποδίστρια, τ. Δ΄
 
Τόπος έκδοσης:Κέρκυρα
 
Εκδότης:Εταιρεία Κερκυραϊκών Σπουδών
 
Συντελεστές:Κώστας Δαφνής
 
Έτος έκδοσης:1984
 
Σελίδες:364
 
Θέμα:Ο Καποδίστριας στην Ελβετία
 
Τοπική κάλυψη:Ελβετία
 
Χρονική κάλυψη:1813-1814
 
Περίληψη:O τέταρτος τόμος του ΑΡΧΕΙΟΥ ΚΑΠΟΔΙΣΤΡΙΑ καλύπτει, την αποστολή του Καποδίστρια στην Ελβετία το 1813-1814, που είχε για στόχο την απόσπασή της από τη γαλλική κηδεμονία και την ενότητα και ειρήνευση της χώρας, που θα εξασφάλιζε ένα Σύνταγμα κοινής αποδοχής. Ο Καποδίστριας πέτυχε στην αποστολή του αυτή και η επιτυχία απέσπασε την εκτίμηση και την εμπιστοσύνη του Αυτοκράτορα της Ρωσίας και άνοιξε το δρόμο για τη μετέπειτα λαμπρή σταδιοδρομία του.
 
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Εμφανείς σελίδες: 174-193 από: 454
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moins ils se limitent à proposer celles qui leur semblent les plus essentielles pour mettre en place une bonne administration et plus propres à mettre graduellement en rapport les principes du droit public des nouveaux cantons avec ceux qui régleront la constitution des anciens. Si les nouveaux Cantons doivent à la bienveillance des Puissances Alliées la conservation de leur existence politique, et si avec la seule force du lien fédéral, ils peuvent la consolider et la garantir, on ne peut douter que le Petit et le Grand Conseil du Canton du Tessin profiteront avec empressement des moyens que les Soussignés mettent à leur disposition pour donner à ce lien une vraie consistance et une durée inaltérable.

Ces moyens se trouvent dans les modifications susmentionnées du projet de constitution également, et dans l’accommodement conciliatoire, que la commission diplomatique de la Diète a déjà proposé au Gouvernement du Tessin et à celui d’Uri en ce qui concerne la Léventine.

C’est pourquoi les Soussignés appellent l’attention du Gouvernement du Tessin sur ces deux objets majeurs et attendent les délibérations les plus promptes et les plus satisfaisantes du Grand Conseil pour le moment prescrit pour la ratification du Pacte fédéral.

sig.

Schraut

sig.

le Comte Capo d’Istria

Observations sur le projet de Constitution du canton du Tessin1

Les Ministres des Puissances Alliées ayant examiné le projet de constitution rédigé par le Grand Conseil du Tessin dans sa séance du 4 mars 1814, croient que dans le but de satisfaire entièrement aux conditions d’une bonne organisation et de correspondre aux vues sages qui se manifestent dans plusieurs de ses articles, un tel Projet devrait subir quelques modifications essentielles; les observations que les Ministres croient devoir faire et auquelles ils invitent les autorités supérieures du canton du Tessin à porter leur attention suivent dans l’ordre même des articles.

Tit. I Art. V. Les prêtres ne devraient pas entrer dans le gouvernement d’une république. Le caractère ecclésiastique exige une entière obéissance; et l’exercice de la magistrature une entière liberté. Ces deux états sont incompatibles.

Les fonctions du Conseil législatif et du Conseil exécutif ne s’excluent pas l’une l’autre; dans tous les Cantons de la Suisse, elles se trouvent être réunies, les membres du Petit Conseil le sont aussi du Grand. Par conséquence, on demande la suppression de cet article.

1. ibidem, no 4 (en italien).

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Tit. II. Art. VIII Chef-lieu. La rotation proposée aurait tant d’inconvénients pour l’administration qu’elle serait nuisible à la considération qui est due au gouvernement. Il ne doit y avoir qu’un seul chef-lieu dans le canton et deux villes seulement, Bellinzone et Lugano, peuvent prétendre à cet honneur.

On propose que le Grand Conseil se prononce sur cette question, non pas au moyen de la constitution même, mais au moyen d’une loi et au cas où le Grand Conseil ne puisse se mettre d’accord sur ce point, que l’on se réserve de recourir à un arbitrage, ou de soumettre la question à la décision de la Diète.

On pourrait admettre comme moyen d’accommodement:

1° que le chef-lieu ne soit pas encore pour l’instant désigné et pour un certain nombre d’années, par exemple 12 à 15.

2° que si le Grand Conseil et le Conseil d’Etat résident à Bellinzone, le Tribunal d’appel soit fixé à Lugano ou vice-versa.

Art. IX. Une telle disposition ne se trouve dans aucune autre constitution. Elle impose à la cité dans laquelle se réunit l’autorité suprême, une charge trop lourde. On croit devoir en proposer la suppression.

Art. X. L’objet dont traite cet article doit par sa nature être réglé par une loi.

Art. XI. Cet article tomberait en conséquence de l’observation faite à l’art. VIII.

Tit. IV. Art. XVII. Le nombre des juges de district semble trop restreint; il serait avantageux de porter leur nombre à 5 et pour les Tribunaux de Lugano et de Locamo à 7 membres. On croit en outre, que l’établissement d’un Tribunal de première instance dans chaque district pour les causes criminelles majeures pourrait avoir de grands avantages.

Art. XVIII-XIX. Deux autorités supérieures judiciaires dont l’une exerce les fonctions de Tribunal d’appel, l’autre de Tribunal de révision sont une complication inutile, souvent dangereuse et contraire aux habitudes de la Suisse. On propose 1° de supprimer le Tribunal de révision; 2° de composer de 13 juges le Tribunal d’appel en matière civile 3° de nommer un Tribunal ad hoc qui prononce en dernière instance dans les causes criminelles majeures. Les inconvénients d’une trop grande amovibilité dans les charges judiciaires étant généralement reconnus, le dernier paragraphe de cet article exige une modification essentielle. Les juges devraient être nommés au moins pour 9 ans et être toujours rééligibles.

Art. XX. La partie la plus défectueuse du projet est sans aucun doute celle qui traite des attributions réciproques et des rapports des autorités supérieures entre elles. Il donne au Grand Conseil des pouvoirs qui sortent de la sphère des fonctions législatives;

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il abaisse le pouvoir exécutif à l’état d’une autorité subordonnée. Cette double erreur, contraire à tout principe d’organisation politique, aurait dans l’application des conséquences infiniment graves. Elle laisserait bientôt le canton du Tessin sans législation de même que sans gouvernement. Il est nécessaire que ce Pays à l’exemple de ses Co-Etats se constitue selon le principe d’une double autorité supérieure, dont l’une forme les lois et l’autre les exécute; dont l’une reçoit le compte de l’administration publique, l’autre exerce cette administration dans toutes ses branches; dont l’une représente le pouvoir Souverain, et l’autre le gouvernement. Ces deux autorités, non plus rivales mais coordonnées, forment dans leur réunion l’ensemble du pouvoir politique. Elles ne peuvent ni se séparer ni se dominer l’une l’autre.

Aux fins d’assurer au Gouvernement l’autorité et la considération dont il doit jouir, les Ministres proposent de confier le pouvoir exécutif et administratif à un Conseil d’Etat de 11 membres pris dans le sein du Grand Conseil, dont ils continueraient à faire partie.

Le nombre de 11 présente l’étendue nécessaire, pour que puissent y trouver accès les Magistrats d’un mérite éminent des diverses parties du Canton.

Deux Membres du Conseil d’Etat élus par le Grand Conseil présideraient les deux Corps et alterneraient entre eux chaque année. Ils pourraient être appelés Landamman ou Bourgmestres. La nomination au Conseil d’Etat serait pour 9 ans et les membres sortants seraient rééligibles.

Le Conseil d’Etat aurait l’initiative des lois, il les proposerait au Grand Conseil et serait chargé de les exécuter, il surveillerait l’administration judiciaire sans exercer d’influence sur les travaux des Tribunaux.

Les autres attributions de cette autorité supérieure semblent bien déterminées dans le projet; cependant, il faut demander la suppression de la clause qui interdit au Conseil d’Etat de nommer aux emplois publics les membres du Grand Conseil.

Art. XXI. Il convient de fixer la durée de la session ordinaire du Grand Conseil (par exemple à 1 mois) et d’ajouter que la proposition du Conseil d’Etat serait nécessaire pour la prolonger.

1. Afin d’éviter les inconvénients que se sont fait sentir en ce qui concerne la proposition et la discussion des lois, on croit que la constitution devrait contenir un article conçu à peu près en ces termes: Si le Conseil d’Etat, à deux sessions consécutives du Grand Conseil, a refusé de présenter un projet de loi sur un objet qui lui aurait été recommandé par le Grand Conseil luimême, ou si un projet de loi présenté par le Conseil d’Etat était rejeté par le Grand Conseil à deux sessions consécutives, alors dans le premier cas le Grand Conseil aurait le droit d’ajouter au Conseil d’Etat pour délibérer sur cet objet une commission de 10

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membres, et d’une telle réunion sortirait le nouveau projet à présenter à rassemblée; dans le second cas, le Conseil d’Etat demanderait une semblable délégation au Grand Conseil pour conférer avec elle.

2. Le Grand Conseil se fait rendre compte de l’exécution des lois et de l’administration des revenus de l’Etat.

7. Cet article est un de ceux dans lesquels le projet attribue au Grand Conseil un pouvoir qui ne peut être exercé que par le Conseil d’Etat.

8. Le Conseil d’Etat donne au Grand Conseil une garde d’honneur durant le temps de ses sessions.

9. Ce paragraphe est inutile, vu que le paragraphe 4 dit bien mieux la même chose.

Art. XXIII. On ne peut que donner les plus grands éloges à la façon dont ont été déterminées les conditions de propriété pour l’admission aux divers emplois législatifs, administratifs et judiciaires. Il ne reste qu’à désirer que la preuve en soit faite avec rigueur et qu’on ne laisse aucun accès à la mauvaise foi. Il ne doit pas être interdit au Conseil d’Etat de choisir les juges parmi les membres du Conseil Souverain; cette observation s’applique aussi aux articles suivants. La durée des fonctions des juges de paix ne devrait pas être inférieure à cinq ans.

Art. XXV. Etant donné qu’on propose de supprimer le Tribunal de révision, il ne serait plus nécessaire d’en parler dans cet article.

Art. XXVI. Les Membres du Conseil d’Etat sont nécessairement membres du Grand Conseil: voir ici la note à l’art. XX.

Art. XXVII. En admettant que la représentation directe (soit) de 2 membres du Grand Conseil pour chaque district (cercle), le projet s’éloigne des principes établis dans toutes les autres constitutions, et donne un accès trop grand à l’intrigue qui préside souvent aux élections populaires; sans doute les élections directes sont nécessaires, mais elle doivent trouver leur contrepoids dans celles qui émanent d’une réunion plus éclairée que le peuple lui-même. En partant de ce point de vue, on désire que la nomination du Grand Conseil se fasse de la façon suivante: 38 membres directs nommés par les cercles, avec condition de propriété de 6000 francs en biens immobiliers; 19 nommés par le Grand Conseil, avec condition de propriété double et 19 membres nommés par le Conseil d’Etat réuni au Tribunal d’appel et à une délégation de 13 membres du Grand Conseil désignés par le sort sur une double liste formée des membres qui payent une contribution majeure à l’Etat.

Le Président annuel du Conseil d’Etat préside le Grand Conseil, comme cela est dit à l’article XX.

Art. XXVIII. Le Grand Conseil n’exerce aucun acte de Gouvernement; s’il exerce le droit de grâce, ce doit être à la suite d’une proposition du Conseil d’Etat. Une loi règle la forme de cet acte.

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Art. ΧΧΧ-ΧΧΧΙ. Une telle rémunération n’est en usage dans aucun autre canton. En la supprimant, on pourrait admettre que les cercles auraient la faculté d’accorder une indemnité à leurs députés directs.

Sig.:

Comte Capo d’Istria.

Chose curieuse, ces observations sont signées uniquement de Capodistrias: ou le copiste a oublié de transcrire le nom de Schraut, ou Capodistrias s’est occupé plus spécialement de ce projet rédigé dans une langue qui lui était familière, ce qui nous paraît plus probable. Ce texte comportait un certain nombre d’imprécisions d’ordre juridique que le ministre tente de clarifier. Ce projet de constitution est le seul, parmi ceux des nouveaux cantons, à commencer en ces termes: «Art. 1. La Religion catholique Apostolique et Romaine est la religion du canton», d’où la mise au point de Capodistrias: «Les prêtres ne devraient pas entrer dans le gouvernement d’une république. Le caractère ecclésiastique exige une entière obéissance; et l’exercice de la magistrature une entière liberté. Ces deux états sont incompatibles.» Cette réaction lui a certainement attiré l’hostilité de l’Eglise catholique. Le problème du chef-lieu avec trois bourgs d’importance équivalente étant difficile à résoudre, le ministre avance une mesure de prudence. Enfin, en proposant son mode d’élection du Grand Conseil par un système composite de nominations directes, indirectes et par une commission spéciale, système formulé plus clairement dans les observations sur les autres projets, Capodistrias dévoile davantage ses motivations: le projet, dit-il, «donne un accès trop grand à l’intrigue qui préside souvent aux élections populaires; sans doute les élections directes sont-elles nécessaires, mais elles doivent trouver leur contrepoids dans celles qui émanent d’une réunion plus éclairée que le peuple lui-même.» C’est bien cette limitation de la représentation populaire qui sera à l’origine des troubles qui éclateront au Tessin quelques semaines plus tard.

Ayant reçu entre-temps la lettre du Grand Conseil, datée du 28, juin, les ministres y répondent:1

Zurich le 19 juin/ler juillet 1814

La note et les observations sur le projet de constitution pour le Canton du Tessin, que les Soussignés Envoyés Extraordinaires et Ministres Plénipotentiaires de L.L.M.M.I. et R. ont adressées

1. ARCHIVIO CANTONALE, Bellinzone, DIV. 643, no 3 (en italien). Autre copie: Papiers Vincenzo Dalberti.

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à la date d’hier à Votre Gouvernement répondent par anticipation aux communications que le Grand Conseil du même Canton vient de leur faire en date du 28 Juin.

Le principe de la souveraineté des Etats Helvétiques étant reconnu, il n’y a aucun doute que le Canton du Tessin, de même que ses Co-Etats, a le droit de statuer librement sur son organisation intérieure. Les observations faites au sujet du projet de Constitution, les considérations dont elles dérivent, et l’application dont elles sont susceptibles, assiéront sur des bases inébranlables la souveraineté et l’indépendance du Canton du Tessin et assureront le succès le plus complet à l’entreprise à laquelle son Grand Conseil consacre actuellement ses soins et ses honorables travaux.

Dans cette conviction, les Soussignés s’abstiennent d’entrer dans d’autres développements au sujet de la note du 28 juin et prient le Gouvernement du Tessin de porter l’attention la plus particulière à l’importance d’achever le plus promptement possible la reconstitution de son Canton.

Sig.

Schraut

Sig.

le Comte Capodistrias

Cette réponse est envoyée par l’intermédiaire de Busca, le député du Tessin à la Diète, qui rend compte également de la longue conversation qu’il a eue avec Capodistrias.1 Ce dernier insiste surtout sur la bienveillance des Puissances alliées qui ont reconnu les cantons tels qu’ils existaient en 1803 et qui ont accepté de considérer les Tessinois, de sujets qu’ils étaient sous l’Ancien Régime, comme citoyens d’un canton souverain et indépendant. Cependant il ajoute: «Les Puissances veulent votre bonheur, vous font don de votre souveraineté et de votre indépendance: mais Elles ne veulent avoir à leur frontière une nation, et encore moins une petite partie de celle-ci, qui garde les principes de cette liberté et de cette égalité mal comprise, qui ont coûté tant de sang à toutes les autres nations et dont Elles veulent absolument voir éteint non seulement l’effet, mais jusqu’à la mémoire.» Elles ne toléreront donc pas un Etat qui garderait les principes dus à la Révolution. Aussi le Tessin doit-il se doter d’une constitution semblable à celles des anciens cantons qui ont été heureux pendant plusieurs siècles de leur organisation interne. Les Puissances alliées ne déposeront les armes que lorsqu’elles auront établi la sécurité et l’indépendance dans chaque Etat. «Tels sont les sentiments des Puissances Alliées, que je vous communique confidentiellement, faites-en part à votre Gouvernement, à qui nous écrivons en termes plus modérés: mais dites-lui que cette modération

1. ibidem, DIV. 643, no 5 (en italien).

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est un effet de ces égards qui sont dus à un Etat déjà reconnu par nos Souverains et indépendant; mais qu’elle n’est pas un effet de la faiblesse, car à l’obstination, ils sauront opposer force et énergie.»

Il semble que l’avis ait été entendu, puisque le 10 juillet, le Grand Conseil avait mis au point un nouveau projet,1 qui tenait compte en partie des observations des ministres dont la copie, non datée, figure dans les papiers de Vincenzo Dalberti:2

Observations sur le second projet de Constitution du Canton du Tessin

Les Ministres des Puissances Alliées ont vu avec satisfaction que les nombreuses et importantes observations auxquelles avait donné lieu le premier projet de constitution du 4 mars 1814 ont été prises en considération et que le Grand Conseil a modifié d’une manière avantageuse les dispositions de l’acte constitutionnel. Les Ministres se persuadent volontiers que des considérations d’un grand poids ont motivé la détermination du Grand Conseil dans les points sur lesquels le nouveau projet s’éloigne de leurs vues. Ils applaudissent particulièrement à la manière avec laquelle les attributions respectives des deux autorités supérieures ont été déterminées; ils félicitent le Grand Conseil d’avoir arrangé avec le consentement réciproque la difficulté relative au chef-lieu. Enfin, ils ne se refusent pas à croire que la manière établie dans le nouveau projet pour la composition du Grand Conseil, peut convenir aux circonstances locales, particulières au Canton. En conséquence, les Ministres des Puissances Alliées se bornent maintenant à reproduire un petit nombre d’observations spéciales, par lesquelles ils invitent l’autorité législative à porter encore quelques changements à la rédaction définitive.

Art. 15. de la nouvelle rédaction. Les Ministres voient avec peine que l’on persiste à vouloir obliger le Conseil d’Etat à choisir les fonctionnaires et employés à l’extérieur du sein du Grand Conseil. Si cette restriction convient pour les employés subalternes de l’administration ou autres, elle aurait au contraire de graves inconvénients pour les emplois plus importants, qui exigent des facultés distinctes, une garantie morale et économique qu’il ne serait pas toujours facile de trouver si l’on excluait par principe de ces emplois les Membres du Grand Conseil. Les Ministres demandent par conséquent la suppression de cette clause exprimée au § 3 de l’art. XV.

1. ibidem, DIV. 643, n° 6.

2. ARCHIVIO CANTONALE, Bellinzone, Papiers Vincenzo Dalberti. Nous traduisons à nouveau le texte italien.

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Art. 17 § 5. Vu qu’il semble peu convenable de faire mention dans la Constitution cantonale du Conseil fédéral, dont l’institution ne repose encore que sur un simple projet, les termes «comme aussi le représentant au Conseil fédéral» devraient être rayés de cet article.

§ 7. Il ne suffit pas de dire que le Grand Conseil exerce le droit de grâce après avoir entendu l’avis du Conseil d’Etat; mais il faut établir d’une manière expresse, que le droit de grâce n’est exercé par le Grand Conseil que sur la proposition formelle du Conseil d’Etat. L’observation de l’initiative légale du Conseil d’Etat est absolument de rigueur; aucune proposition de grâce ou de diminution de peine ne peut naître du sein du Grand Conseil.

Art. 22. Il n’y a aucune raison d’exclure les juges de paix du Grand Conseil; ni les membres du Grand Conseil des fonctions de juges de paix; le Gouvernement doit pouvoir conférer ces fonctions respectanles à n’importe quel homme honnête et capable de les exercer. Les termes «à l’extérieur du sein du Grand Conseil» sont donc à supprimer.

Sig.

Schraut

Stratford Canning

Le Comte de Capodistrias.

On notera qu’il s’agit d’un des premiers documents signés également par Stratford Canning.

Ce projet, où l’on a largement tenu compte des remarques des ministres, sera accepté par le Grand Conseil tessinois le 29 juillet 1814; mais sa mise en vigeur — et la situation de la Léventine — provoqueront des troubles graves en automne 1814, matés avec peine par l’intervention de troupes fédérales.

Argovie: observations sur le constitution cantonale

C’est ensuite à la constitution argovienne que Capodistrias et Schraut ont consacré leurs soins. Le projet de cette constitution avait été élaboré à Lausanne par Albert Rengger.1 Ce médecin argovien avait joué un rôle politique important sous la République Helvétique et la Médiation, puis s’était établi à Lausanne; au cours de ces mois troublés de 1814, il fait le lien entre Vaud et son pays d’origine. Il représentera ensuite l’Argovie et Saint-Gall au Congrès de Vienne et reprendra des fonctions politiques de premier plan en Argovie sous la Restauration. Son projet de constitution, qui figure en français dans les archives d’Aarau, bien conçu du point de vue juridique,

1. Dierauer, op. cit., V, 2, p. 411-412.

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est encore très marqué par certaines conceptions révolutionnaires et napoléoniennes: le système censitaire, le renouvellement par tranche des Assemblées, les divisions territoriales en districts, cercles, communes. Il était normal du reste que Rengger ne propose pas un changement radical de l’administration et du gouvernement d’un canton qui était né à l’époque de l’Acte de Médiation et n’avait pas connu l’indépendance sous l’Ancien Régime. Mais on comprend que les ministres aient été soucieux d’harmoniser ces constitutions libérales avec celles des anciens cantons — c’est le point de vue que Capodistrias vient de soutenir de vive voix devant les magistrats vaudois ! D’où la lettre que Capodistrias et Schraut envoient aux conseillers d’Argovie pour accompagner leurs observations sur le projet de constitution.1

Les soussignés Envoyés extraordinaires et Ministres plénipotentiaires de leurs Majestés Impériales, aggissant aussi au nom de leur Collègue le Ministre de sa Majesté le Boi de Prusse, ont accordé une attention toute particulière au projet de la constitution du Canton d’Argovie. Les observations çi-jointes qu’ils s’empressent de transmettre au Gouvernement d’Argovie, sur le dit projet partent du principe, que les nouveaux Cantons doivent par leur réorganisation intérieure se mettre en rapport et établir des liens indissolubles avec les anciens. C’est de cette seule manière qu’on pourra définitivement rallier les intérêts politiques de ces nouveaux Etats avec ceux des fondateurs de l’indépendance helvétique.

C’est à la bienveillance des hautes Puissances alliées que l’Argovie doit son existence et son intégrité. Il est à espérer conséquemment que Ses Magistrats s’empresseront de faire adopter à ce Canton les principes que les Soussignés croient les plus propres à raffermir son indépendance et à assurer son bonheur.

Dans cette conviction les Soussignés attendent pour résultat de la présente communication l’achèvement heureux et prompt de l’œuvre important dont les Magistrats de l’Argovie s’occupent actuellement avec un zèle distingué. Zuric, 28 Juin 1814.

sig:/

Le Comte Capo d’Istria

sig:/

Schraut

Pour Copie conforme.

Chancellerie du Canton d’Argovie

[en bas à g.:] A Mrs le Président et Conseillers du Canton d’Argovie.

Les observations des ministres2 sont en allemand, mais, comme cela est indiqué en tête du document, il s’agit d’une traduction; il est re-

1. STAATSARCHIV, Aarau, Akten Grosser Rat, Gesetze und Akten vom Jahr 1814, Fasz. «Verfassung des Kantons Aargau», 4. Juli 1814.

2. STAATSARCHIV, Aarau, même cote.

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grettable que l’original français ait disparu. En les retraduisant, on s’aperçoit que des phrases entières figurent textuellement dans les observations adressées aux gouvernements de Saint-Gall le 7 juillet et de Vaud le 10 juillet. Nous reproduisons les passages les plus intéressants de ces remarques:

Observations sur le projet de constitution du Canton d’Argovie.

On ne peut qu’approuver les vues sages qui sont à la base de ce projet de constitution. Il se distingue avantageusement de ceux qui ont été présentés par les nouveaux cantons et donne matière à beaucoup moins d’observations que ceux-ci. Les observations qui suivent sont soumises aux autorités du canton d’Argovie par les ministres des Puissances alliées.

L’une des remarques constantes des ministres concerne l’augmentation du nombre des membres du Conseil d’Etat (ou Petit Conseil) qui exerce le pouvoir exécutif. Le nombre idéal leur paraît treize. Ils justifient ainsi leur préférence:

Fixer à neuf le nombre des membres du Conseil d’Etat est estimé insuffisant en considération aussi bien de l’importance de la fonction que de la nécessité d’appeler à ces postes des hommes qui par leur fortune, leur éducation et la confiance publique sont particulièrement désignés pour occuper les premières magistratures de l’Etat.

Un Conseil d’Etat plus nombreux est moins jalousé, inspire une plus grande confiance. Il embrassera mieux les différentes branches de l’administration publique et peut à cette fin se diviser en plusieurs chambres.

On estime que le Conseil d’Etat devrait être composé de 13 membres dont au moins six devraient appartenir à la confession protestante et au moins six à la confession catholique.

Par la suite, les ministres utiliseront l’accord des Argoviens de porter à treize le nombre des conseillers d’Etat comme argument choc pour emporter l’adhésion des Saint-Gallois et des Vaudois à cette proposition.

Le deuxième point qui semble particulièrement inquiéter Capodistrias — et à juste titre — est le nombre exagéré de juges de paix établis dans chaque cercle sous l’Acte de Médiation. Il insistera pour qu’on le diminue, ceci dans les trois cantons:

Il serait difficile que la charge honorable de juge de paix soit administrée par des hommes vraiment capables si l’on de-

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vait établir dans chaque cercle une pareille charge de juge de paix. On propose donc de réunir deux cercles sous un juge de paix et d’adjoindre à chacun d’eux deux assesseurs dont l’un sera pris dans chacun des cercles.

Nous n’entrerons pas dans le détail des observations concernant le mode d’élection des 150 membres du Grand Conseil. Les nominations directes ou indirectes se feraient selon un système extrêmement compliqué, qui réserverait selon le désir des gens en place, les sièges aux gens les plus fortunés et éloignerait les milieux de la bourgeoisie moyenne et du peuple des institutions gouvernementales.

Nous noterons par contre le souci des ministres, dans un canton mixte du point de vue confessionnel, de tenir la balance égale entre catholiques et protestants:

A l’exemple des anciens cantons, on souhaiterait placer à la tête du Conseil d’Etat argovien deux chefs, l’un catholique, l’autre protestant, qui alterneraient d’année en année dans la présidence. Cette institution sanctifiée par l’expérience de plusieurs siècles, a l’avantage d’assurer une meilleure union des deux corps de l’Etat et d’accroître la considération du gouvernement lui-même. Ces deux chefs seraient appelés Bourgmestres, titre aussi populaire que vénérable. Le bourgmestre en charge exerce la présidence du Grand Conseil et du Conseil d’Etat. En cas de besoin, il est remplacé dans ces deux Conseils par son collègue.

Enfin, les ministres vont proposer de retirer du projet de constitution le titre 5 concernant sa «mise en activité» (ce qui était justifié du point de vue juridique) et suggérer un mode de faire uniforme pour les nouveaux cantons, avec le souci d’éviter une rupture complète entre les deux régimes:

Quant à la mise en activité de la constitution, les Ministres des Puissances Alliées estiment qu’elle devrait émaner de la législation actuelle sans aucune sanction ultérieure. Ensuite de l’acceptation de la Constitution, un tiers de l’actuel Grand Conseil serait renouvelé dans une égale proportion de ses membres directs et indirects. Immédiatement après, le Grand Conseil nommerait le Conseil d’Etat et le Tribunal d’appel; le second tiers du Grand Conseil serait renouvelé de la même manière en 1815 et le dernier tiers en 1816. C’est sur ces bases que le Gouvernement d’Argovie est invité à faire les règlements nécessaires.

Comme le remarque Dierauer:1 «Au demeurant, (les ministres) ne

1. Dierauer, op. cit., t. V, 2e partie, p. 412.

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purent, pas plus que Rengger lui-même et d’autres hommes d’Etat libéraux de l’époque, se soustraire au courant politique prédominant. Ils craignaient de faire participer largement les masses à la gestion des affaires publiques».

Les remarques des ministres furent discutées au Grand Conseil argovien, ce que nous apprend un brouillon de lettre de Herzog à Capodistrias.1 Cette lettre du 2 juillet recrée bien le climat du moment:

reponse à Mr De Capodistria

Aarau le 2 Juillet 1814

Monsieur le Comte!

Il ne me reste qu’un moment pour repondre par le retour du Courrier à l’aimable lettre que votre Excellence a bien voulû m’adresser en date de hier et de lui temoigner toute ma gratitude pour le Souvenir precieux dont elle m’honnore.

Il est vrai que plusieurs Persones ont tiré des Conséquences désavantageuses du prompt passage de votre Excellence par n(otre) V(ille) mais je suis bien loin d’être de ce nombre connoissant trop l’Interet et la Bienveillance qu’elle porte pour notre Canton. J’espere que nous aurons l’honneur de vous posseder bientôt parmis nous et de pouvoir vous exprimer de vive voix les sentimens de reconnoissance et de l’attachement inébranlable dont tous les bons Argoviens sont pénétré.

Notre Grand Conseil est assemblé comme vous le savés deja Monsieur le Comte, depuis lundi passe pour discuter l’acte de la Constitution federale et le Projet de la Constitution Cantonale. Le premier a été adopté unanimement et le dernier le seroit aussi si les observations que Leurs Excellences les Ministres des Hautes Puissances alliées ont eû la Bonté de nous communiquer, n’avoit pas occasioné quelques changements qui ont nécessairement entravé la Discution. Je pense que cet ouvrage sera terminé mardi prochain et me flatte d’avance que votre Excellence en sera satisfait vu que les observations sages qu’elle a daigné nous faire ne trouverons aucun obstacle.

Il paroit que Messieurs les Bernois veulent accomplir le mal qu’ils ont commencé. Ils organisent et rassemblent leur Reserve dans toutes les Parties des Cantons et nous savons de bonne source qu’ils forment des Depots d’armes et de munitions sur nos frontières. Cette atitude hostile d’un Canton voisin ne peut autrement que provoquer des mesures de precaution de notre part; nous nous en occupons dans ce moment mais avec le sentiment le plus

1. STAATSARCHIV, Aarau. Correspondance entre Capodistrias et J. Herzog. Brouillon (ou copie) d’une lettre de Herzog. Il est regrettable que la lettre de Capodistrias à Herzog du 1er juillet ait disparu.

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penible. Il seroit temps de metre un terme a toutes ces menees qui desolent malheureusement deja trop long temps la Suisse et qui ne manquerons pas de la livrer en Proie d’une guerre civile si la main Protectrice qui veille sur nous n’areste pas promptement ce Tems scandaleux des Passions.

Deux jours plus tard, le Grand Conseil argovien adoptait la constitution cantonale, en tenant compte de la plupart des remarques des ministres. Le texte de cette constitution fut immédiatement imprimé1 et assez largement diffusé. Il allait servir de modèle à la constitution de plusieurs des nouveaux cantons.

Le 6 juillet, le président du Petit Conseil adressait aux ministres la lettre suivante:2

Excellences!

Nous avons reçu en son tems, la Note et les observations que Vos Excellences! agissants aussi au nom du Ministre de sa Majesté le roi de Prusse nous ont adressé en date du 28e Juin, sur le projet de notre constitution cantonale.

Ces preuves de l’intérêt, et de l’attention particulière de Vos Excellences nous parvinrent dans le moment, ou le projet après la revision du Petit Conseil et peu différent de celui qui leur fut communiqué en son tems, etoit soumis a la deliberation du grand Conseil; nous nous sommes donc empressé de retirer ce projet pour profiter des observations de Vos Excellences ! et y faire les changemens nécessaires.

Le grand Conseil après une mûre deliberation exigée par la nature d’un objet aussi important, a adopté avec empressement et presque a l’unanimité, la Constitution dont nous chargeons nos Députés a la Diète, de remettre quelques exemplaires a Vos Excellences! Ils auront l’honneur de Leur développer les motifs et les vues qui ont conduit le grand Conseil dans cette délibération.

Si notre Canton doit a la protection bienveillante des Souverains alliés la conservation de son existence et de l’intégrité de son territoire, il doit une bonne et heureuse organisation intérieure aux intentions favorables et aux conseils éclairés de Vos Excellences.

Il se rendra digne de Ces bienfaits en remplissant les devoirs que son pacte social lui impose, en se rappellant toujours avec la plus vive reconnoissance des Auteurs de son bonheur. Cette re-

1. STAATSARCHIV, Aarau. Un exemplaire figure dans les Gesandtschafts Berichte du 20 décembre 1813 au 16 août 1814; un autre exemplaire dans AA2 Mappe P, 2e série (Berns Ansprüche auf Aargau und Waadt, Beilage).

2. STAATSARCHIV, Aarau, Gesandtschafts Berichte, ibidem. Copie d’une lettre du 6 juillet 1814 à Capodistrias et Schraut.

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connoissance se transmettra aux générations futures, et ne sera egalée que par le dévouement sans bornes, qui ne s’effacera jamais du cœur de nos concitoyens.

C’est avec ces sentimene que nous prions Vos Excellences ! d’agréer l’assurance de la plus haute consideration que nous Leur avons vouë.

Le Président du petit Conseil /

sig/ Luscher

Le Chancelier

sig. Kasthofer

/C.C. le Chancelier du Canton

J.L. Bachmann

Les ministres ne pouvaient que se féliciter de la rapidité avec laquelle les Argoviens avaient mené l’affaire à terme. Cette constitution fut mise en vigueur sans difficulté dans le canton. Malheureusement, dès ces premiers jours de juillet, la tension montait à nouveau entre Berne d’un côté, Argovie et Vaud de l’autre, comme le laisse entendre la lettre de Herzog du 2 juillet. Nous y reviendrons plus loin.

Le 30 juin, les ministres allaient expédier une série de notes comminatoires aux gouvernements des Grisons, de Saint-Gall, de Glaris et de Schwytz.

Grisons

L’ingérence des minisres dans les affaires des Grisons est assez inattendue. Sous l’Ancien Régime, les trois Ligues (Grise, de la Maison-Dieu et des Dix-Juridictions) avaient formé une confédération alliée à la Confédération suisse. Elles avaient donc un statut assez différent des autres cantons. A l’écroulement du régime napoléonien, le comte de Salis-Soglio avait joué un rôle important dans le comité de Waldshut, et sous son influence, un parti s’était formé qui avait réclamé le retour politique à l’Ancien Régime et envisageait même la séparation des Grisons de la Suisse, en les plaçant sous le protection autrichienne. Capodistrias avait informé le tsar des troubles qui s’étaient produits à Coire dans son rapport du 8 janvier, de même que dans son rapport du 3 février.1 Il l’avait mis au courant des attaques très violentes dont Lebzeltern avait été la cible aux Grisons. Quelques jours plus tard, le Petit Conseil des Grisons, dominé par le parti libéral, avait adressé une lettre d’excuses à Lebzeltern, mettant ainsi fin à la querelle. Dans l’affaire de la Valteline au printemps 1814, l’attitude des

1. V. supra, pp. 52 et 63.

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ministres, qui avaient soutenu le point de vue de la Diète et proposé l’envoi d’une force armée suisse, n’avait peut-être pas été appréciée d’un certain nombre d’habitants des Grisons. Quoi qu’il en soit, il importait que les Grisons se prononcent clairement et définitivement pour leur rattachement à la Suisse et se dotent au plus vite d’une constitution cantonale qui soit en accord avec celle des autres cantons. C’est ce que leur signifient impérieusement les deux notes que leur écrivent Schraut et Capodistrias en date du 30 juin 1814.1 Nous pouvons supposer qu’elles ont été rédigées en français — on y retrouve quelques tournures chères à Capodistrias — mais qu’elles ont été traduites en allemand par Schraut ou son secrétariat: l’exemplaire de la copie déposée aux Archives fédérales est du reste transcrit sur le papier bleu caractéristique du ministre autrichien.

Dans la première note, constatant que certains dans les Grisons continuent à se poser la question d’une scission éventuelle des Grisons et de la Suisse et imaginent que l’Autriche est favorable à ce dessein, les ministres tiennent à affirmer que les Puissances alliées sont irrévocablement décidées à maintenir le lien qui unit les trois Ligues à la Confédération, et Schraut en particulier engage les magistrats grisons à châtier quiconque de leurs compatriotes soutiendrait ce parti et à le considérer comme mutin et perturbateur de l’ordre public. Ils estiment que tous ceux qui s’opposent à la ratification du Pacte fédéral et entravent la rédaction de la constitution cantonale risquent d’exposer leur patrie à la perte définitive des territoires détachés (il s’agit évidemment d’une allusion à la Valteline).

La seconde note concerne le statut interne des Grisons. Les ministres jugent indispensable de conserver les améliorations apportées par l’Acte de Médiation. Ils s’opposent formellement au retour à l’Ancien Régime qui avait été marqué par l’anarchie, les émeutes populaires, l’absence de législation et de discipline civique. Ils mettent en garde les magistrats qu’en tant que membre de la Confédération, les Grisons doivent se doter d’une constitution qui aille de pair avec celles des autres cantons. Cette condition est essentielle pour que les Puissances alliées puissent accorder à cette constitution leur garantie et leur protection.

Ils engagent les magistrats grisons à hâter la rédaction de cette

1. ARCHIVES FÉDÉRALES, 1983, f. 103-104 et f. 107-108, publiées dans Abschied 1814-1815, t. I, p. 221-222 (ici, la deuxième note est datée du 1er juillet 1814). Un résumé en allemand en est donné dans le Protocole du Petit Conseil de 1814, Coire, n° 1485, suivi de la réponse aux ministres.

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dernière et lorsqu’elle sera achevée, à dépêcher à Zurich un ou plusieurs hommes de confiance avec lesquels ils pourront délibérer.

Dans son accusé de réception,1 quelques jours plus tard, le Gouvernement des Grisons regrette que la conduite de quelques-uns de ses membres ait donné lieu aux déclarations des ministres, mais reconnaît que ces notes très fermes auront clarifié la situation. La majorité des communes a accepté le nouveau pacte fédéral et le gouvernement a en quelque sorte les mains libres pour préparer le projet de constitution cantonale qui sera présenté aux ministres par leurs députés à la Diète.

Malheureusement, les lettres originales des ministres n’existent plus dans les archives de Coire. Nous les connaissons uniquement par les résumés qui figurent dans le protocole du Petit Conseil et précèdent les réponses de ce Conseil. Ainsi le 11 août, les membres du Petit Conseil adressent une lettre de remerciements aux ministres, pour leur note du 5 août que nous n’avons pas retrouvée:2

A Leurs Exs les Ministres d’Autriche, de Russie et d’Angleterre près la Confédération Suisse.

Jointes à la lettre que Vos Excellences nous ont fait l’honneur de nous addresser le 5 de ce mois nous avons reçus outre la copie de l’arrangement convenu entre les differentes deputations de notre Canton, les observations par les quelles Vos Excellences constaté l’attention qu’Elles ont bien voulu donner au projet de Constitution de notre état.

Si nous avons observé avec la plus vive satisfaction que dans sa totalité ce projet à obtenu l’approbation de Vos Ex(cellences) nous ne sentons pas moins le devoir de Leur présenter nos sinceres remercimens de l’interet qu’Elles ont daigné prendre à la reorganisation de notre Canton et aux effets salutataires qui doivent en résulter.

Persuadés comme nous sommes nous meme, que la mise en activité de la nouvelle constitution ne doit pas etre retardée, nous ferons tout ce qui depend de nous pour l’accelerer aussitôt quelle sera ratifiée par les communes.

Nous prions etc.

Il aurait été intéressant de pouvoir comparer les observations faites par les ministres à cette constitution qui était avant tout l’œuvre du libéral Jean-Frédéric Tscharner à celles faites aux cantons d’Argovie,

1. STAATSARCHIV GRAUBÜNDEN, Coire, Protocole du Petit Conseil, séance du 6 juillet 1814, no 1425.

2. STAATSARCHIV GRAUBÜNDEN, Coire, Protocole du Petit Conseil, séance du 11 août 1814, n° 1491.

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de Saint-Gall et de Vaud. Le problème le plus délicat à résoudre dans le cas des Grisons était l’équilibre à trouver entre la majorité protestante et la minorité catholique, concentrée dans un certain nombre de communes. Dans l’ensemble, cette constitution fut une réussite: le fédéralisme des trois Ligues subsistait, mais il était tempéré par la mise en place d’autorités centrales législatives, exécutives et judiciaires. Les communes obtenaient un droit de référendum pour toute nouvelle loi ou modification de la constitution, ce qui établissait un régime démocratique beaucoup plus prononcé que dans la plupart des cantons.1 Elle fut adoptée par les communes et entra en vigueur le 12 novembre 1814.

Saint-Gall et Schwytz

Si les pourparlers avec les Argoviens et les Grisons avaient été relativement faciles, les tractations avec les magistrats de Saint-Gall allaient se révéler plus ardues.

Le canton de Saint-Gall, tel qu’il avait été reconnu par l’Acte de Médiation, était composé de contrées qui n’avaient pas de passé historique commun et dont les intérêts divergeaient: la ville de Saint-Gall, protestante et jalouse de ses privilèges; les anciennes possessions de l’abbé de Saint-Gall, le très remuant Pancrace Vorster qui avait intrigué à Chaumont, et dont les intérêts étaient soutenus par le nonce du pape; la ville de Rapperswil elle aussi jalouse de ses prérogatives; le Bheintal, le pays de Sargans dont les habitants se seraient volontiers réunis aux Grisons ou à Glaris, et enfin le district d’Uznach, que Schwytz était prêt à accueillir. En fait, plusieurs de ces régions avaient été sous l’Ancien Régime bailliages des Waldstätten, de Glaris ou d’Appenzell, qui comptaient sinon les récupérer, du moins être indemnisés pour leur perte. Il ne s’agit donc pas d’un canton homogène comme Vaud, dont les habitants se sentaient liés par un sentiment patriotique qui les poussait à refuser toute concession territoriale.2

Capodistrias, conscient du danger que provoquait ce mécontentement latent, avait cherché en mai à hâter la révision de la constitution cantonale, en convoquant à Zurich Müller-Friedberg et quelques autres magistrats. Il n’avait pas réussi à mener le travail à terme avant son départ le 20 mai.3 Les intrigues avaient dû continuer de plus belle,

1. Dierauer, op. cit., t. V, 2e partie, p. 419.

2. ibidem, p. 413-415.

3. v. supra, p. 132.

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puisque le 24 mai, Schraut s’était décidé à écrire une note très ferme au gouvernement de Saint-Gall pour l’engager à réprimer tout désordre, à exiger des ressortissants l’obéissance aux autorités établies, à maintenir le statu quo jusqu’à ce que la constitution cantonale fût terminée.1 Le Petit Conseil, au fond soulagé de se sentir soutenu en haut lieu, y avait répondu le 28 en termes très flatteurs pour les ministres.2 Une des premières tâches qui attendait donc Capodistrias à son retour de Paris était de reprendre les pourparlers avec la commission saint-galloise chargée de rédiger le projet. Et c’est à l’instigation de MüllerFriedberg3 que Capodistrias et Schraut ont une entrevue avec les députés de Saint-Gall à la Diète, à Zurich le 29 juin, à la suite de laquelle ils expédient le lendemain une note au gouvernement de Saint-Gall (Document n° 59) et une autre, courte et bien sentie, aux Landamman et Conseils des Etats de Schwytz et de Glaris.4 Ils les préviennent qu’ayant entendu parler des menées qui ont lieu dans ces cantons pour obtenir les territoires d’Uznach et de Sargans, les ministres des Puissances alliées tiennent à préciser qu’il n’est pas question de toucher d’une quelconque façon au territoire actuel du canton de Saint-Gall, que la Diète est chargée de maintenir la paix intérieure et, si l’avertissement n’est pas compris, de sévir contre les perturbateurs; qu’enfin les ministres soutiendront la Diète de toutes leurs forces.

Dans ces cantons particulièrement fiers de leur séculaire indépendance, le ton et le contenu de cette note a dû créer un certain scandale. Et c’est probablement pour en atténuer l’effet par des conversations directes que Capodistrias se rend à Glaris le samedi 2 juillet, saisissant l’occasion d’assister à la Landsgemeinde du dimanche 3. Nous n’avons pas de témoignage glaronais sur cet épisode, mais le connaissons grâce à Muret, une fois de plus,5 et grâce aussi, nous l’avons vu, à une lettre de Saladin à Turrettini.6 Et comme nous n’avons aucun signe d’activité du ministre avant le mercredi 6, nous pouvons supposer qu’il a prolongé quelque peu son séjour dans la région.

1. STAATSARCHIV, Saint-Gall, Allg. Akten R.1, F. 3 1814. no 5 F. 5, R.1, note de Schraut, Zurich, 24 mai 1814.

2. STAATSARCHIV, Saint-Gall, ibidem, n° 760, brouillon de la réponse du Petit Conseil à Schraut, 28 mai 1814.

3. Dierauer, op. cit., t. V 2, p. 414.

4. Abschied 1814-1815, t. I, p. 210.

5. ACV, Rég. des Délib., p. 262, séance du 4 juillet. Lettre de Muret du 2: ...«que lui Mr de Capo d’Istria part pour Glaris, pour assister à la Landsgemeinde».

6. v. supra, page 109, note no 3.

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C’est probablement dans la même intention lénifiante qu’a lieu l’entrevue de Schraut et Capodistrias avec le député de Schwytz à la Diète Auf der Maur. Celui-ci, le 2 juillet, écrit à son gouvernement qu’il a vu les ministres de Russie et d’Autriche, «tous les deux plus doux et plus contents que leur lettre ont craint les voyes d’energie, qui demasqueroient enfin l’inefficacité de leurs pouvoirs [sic], lors que je les ai tranquilisé à ce sujet en leur observant que le Canton de Schwitz soutiendroit avec fermeté une réclamation, de la justice de la quelle il etoit pénétrée, mais qu’il desiroit en même tems d’obtenir l’objet de ses reclamations par une négociation aimable, ils ont promis d’interposer leurs bons offices pour y engager le Canton de S* Gall. Cette négociation devrait même s’entamer incessamment...».1

Le façon par ailleurs assez confuse de rapporter l’entrevue est en contradiction absolue avec la lettre que Capodistrias expédie le 8 juillet (Document n° 61) à de Beding, qui lui semble le seul Schwytzois capable de ramener sa patrie à la raison:

[...] Votre Auf der Maur est insoutenable. Il précipite et gâte les meilleurs affaires. Ce sont ses propos et sa manière outrée de les traiter qui ont provoqué les lettres que nous avons écrites à Votre Canton et à ceux de Glarus et de S. Gall.

Sous peu de jours la Diète doit s’assembler. Je connais d’avance les divergences et les protestations. Si Votre Canton adopte les ratifications que le Canton de Glaris à donnée au Pacte fédéral, j’aurais lieu de croire encore à la possibilité d’une conciliation, au moins je l’essayerai pour la derniere fois. Venés donc Monsieur le Landamman m’aider de Vos lumières de Votre crédit, et de Votre Coopération. Si toutes nos peines doivent être perdues, si une mediation soutenue par la force des armes doit encore malheureusement deshonorer votre Patrie, si enfin votre véritable indépendance doit disparaître par la volonté absurde de quelques mauvaises têtes, prenons nous y au moins de manière que notre conscience n’ait rien à nous reprocher. Je vous parle en Suisse, parceque j’ai eu aussi une patrie, et parceque je n’ai plus l’espoir de la voir renaître d’elle même [...].

Les termes émouvants de la dernière phrase montrent que Capodistrias ne conservait que peu d’espoir de changer au Congrès de Vienne le sort des îles Ioniennes. Quant à l’entrevue du 2 juillet, on peut se demander si Capodistrias s’est montré trop conciliant pour atténuer l’ef-

1. STAATSARCHIV, Schwytz, G.5 1814, Lettre dAuf der Maur au Conseil, du 2 juillet 1814.

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fet brutal de sa note, ou si le français très sommaire d’Auf der Maur — voir sa lettre au Conseil — ne lui a pas permis de saisir les nuances diplomatiques de la langue des ministres.

Pour en revenir à Saint-Gall, objet du litige, les ministres expédient le 30 juin une note dont le texte est imprimé en allemand dans les Recès de la Diète;1 ils y exposent clairement le point de vue des Puissances alliées: il n’est pas question d’un morcellement du canton; ni Uznach, ni Sargans, ni n’importe quelle autre partie du territoire ne doivent être séparés du canton de Saint-Gall; il n’est pas question non plus que le prince abbé retrouve ses droits et possessions. Et le gouvernement est chargé de le faire savoir à l’ensemble des territoires du canton. La note, malgré les quatre-vingts kilomètres qui séparent Zurich de Saint-Gall, est imprimée dès le lendemain in extenso par le Petit Conseil sur une affiche grand format, le Conseil ordonnant que le texte soit lu publiquement dans toutes les églises du canton et affiché dans tous les lieux habités.2

Si les ministres donnent un appui officiel important au gouvernement en place à Saint-Gall, ils vont exiger en contrepartie, dans une note du 30 juin également (Document n° 59), que la rédaction de la constitution cantonale soit achevée au plus vite, en tenant compte des réclamations de la ville de Saint-Gall et de la partie catholique du canton. Ils proposent leur médiation à ce sujet et souhaitent que le président de cette commission et Müller-Friedberg viennent à Zurich pour leur présenter le projet. Le gouvernement de Saint-Gall rédige le 1er juillet une réponse séparée pour chacune de ces deux notes.3 Voici un passage de la première: «C’est un bienfait, qui laissera des traces profondes dans les cœur de nos habitans et un souvenir fait pour perpétûer un attachement loyal et inviolable aux augustes monarques, que vos Exc. réprésentent avec tant de Dignité et de Bienfaisance.»

L’affaire est menée avec célérité puisque le 7 juillet, les ministres ont déjà reçu le projet, l’ont discuté avec les intéressés et envoient une lettre d’accusé de réception, suivie de leurs observations, qui ne couvrent pas moins de sept pages grand format (Document n° 60). Nous regrettons de ne pas connaître le projet de la commission. Mais d’après les observations, nous pouvons constater que les ministres se préoccupent de la défense des intérêts des minoritaires, par exemple

1. Abschied 1814-1815, t. I, p. 210-211.

2. STAATSARCHIV, Saint-Gall, exemplaire dans Hauptakten, R.1.

3. STAATSARCHIV, Saint-Gall, Allgem., R.1, F.4, nos 980 et 981.

Σελ. 193
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Αναζήτηση λέξεων και φράσεων εντός του βιβλίου: Αρχείον Ιωάννου Καποδίστρια, τ. Δ΄
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    Σελίδα: 174

    moins ils se limitent à proposer celles qui leur semblent les plus essentielles pour mettre en place une bonne administration et plus propres à mettre graduellement en rapport les principes du droit public des nouveaux cantons avec ceux qui régleront la constitution des anciens. Si les nouveaux Cantons doivent à la bienveillance des Puissances Alliées la conservation de leur existence politique, et si avec la seule force du lien fédéral, ils peuvent la consolider et la garantir, on ne peut douter que le Petit et le Grand Conseil du Canton du Tessin profiteront avec empressement des moyens que les Soussignés mettent à leur disposition pour donner à ce lien une vraie consistance et une durée inaltérable.

    Ces moyens se trouvent dans les modifications susmentionnées du projet de constitution également, et dans l’accommodement conciliatoire, que la commission diplomatique de la Diète a déjà proposé au Gouvernement du Tessin et à celui d’Uri en ce qui concerne la Léventine.

    C’est pourquoi les Soussignés appellent l’attention du Gouvernement du Tessin sur ces deux objets majeurs et attendent les délibérations les plus promptes et les plus satisfaisantes du Grand Conseil pour le moment prescrit pour la ratification du Pacte fédéral.

    sig.

    Schraut

    sig.

    le Comte Capo d’Istria

    Observations sur le projet de Constitution du canton du Tessin1

    Les Ministres des Puissances Alliées ayant examiné le projet de constitution rédigé par le Grand Conseil du Tessin dans sa séance du 4 mars 1814, croient que dans le but de satisfaire entièrement aux conditions d’une bonne organisation et de correspondre aux vues sages qui se manifestent dans plusieurs de ses articles, un tel Projet devrait subir quelques modifications essentielles; les observations que les Ministres croient devoir faire et auquelles ils invitent les autorités supérieures du canton du Tessin à porter leur attention suivent dans l’ordre même des articles.

    Tit. I Art. V. Les prêtres ne devraient pas entrer dans le gouvernement d’une république. Le caractère ecclésiastique exige une entière obéissance; et l’exercice de la magistrature une entière liberté. Ces deux états sont incompatibles.

    Les fonctions du Conseil législatif et du Conseil exécutif ne s’excluent pas l’une l’autre; dans tous les Cantons de la Suisse, elles se trouvent être réunies, les membres du Petit Conseil le sont aussi du Grand. Par conséquence, on demande la suppression de cet article.

    1. ibidem, no 4 (en italien).